Magie et origami

Etant passionné à la fois par la magie et par l'origami, j'ai écrit un article sur le lien entre l'un et l'autre. Il a été publié dans le "Chardon Magique" édité par le Cercle Magique de Lorraine, et plus tard dans la revue "Le Pli" du Mouvement Français des Plieurs de Papier.
Le voici, pour ceux qui n'ont lu ni l'un ni l'autre.


Magie et origami
F. Ziegler 09/2018

Depuis longtemps des magiciens se sont intéressés au pliage de papier jusqu’à en devenir, pour certains, des maîtres.
Etant moi-même passionné par ces deux arts, je vous livre ici une petite rétrospective des liens entre magie et origami.
A noter que je ne parlerai que d’origami, pas de « magie du papier » en général.

  1. Le pliage comme divertissement par des magiciens
L’origami est un mot japonais dérivé du verbe « oru » qui signifie « plier » et « gami » ou « kami » qui signifie papier. L’origami est donc le pliage de papier. Beaucoup développé au Japon où il a une tradition ancestrale, il est passé au fil des siècles d’un aspect utilitaire à un aspect décoratif puis ludique. De nos jours, le terme « origami » est utilisé dans le monde entier.
Le pliage en soi a un côté « magique », dans la mesure où à partir d’une seule feuille de papier il est possible de donner vie à une immense variété de modèles, passant de la feuille plate à un résultat en volume, avec les règles de l’origami qui sont « pas de ciseaux et pas de colle ». Cette transformation est à la fois surprenante et divertissante, c’est la raison pour laquelle nombre de magiciens ont inclus l’origami  comme moyen de divertir leur public, les modèles utilisés étant pour la plupart traditionnels. Le magicien réalisait un pliage devant un spectateur et lui donnait en souvenir, ça n’allait pas plus loin mais c’était un moyen de créer des liens avec son public, et de laisser aussi une trace de son passage. Finalement, c’est plus sympathique et original de laisser un pliage qu’une simple carte de visite !
C’est comme cela que, par exemple, Harry Houdini publia en 1922, dans son livre « Paper Magic », une petite sélection de pliages, incluant le « Troublewit » (éventail à transformation ou éventail magique), ou que Bruce Elliott publia dans le livre « The Best in Magic » de 1956 (traduit en Français sous le titre « Les meilleurs tours de la prestidigitation moderne ») 3 pliages dans le chapitre « Tours nouveaux de micromagie ». C’est d’ailleurs grâce à ce dernier livre que j’ai fait mes premiers pliages !

Le « Troublewit » (éventail magique ou papier multiforme), lui, est un véritable numéro. C’est un pliage en accordéon avec lequel le magicien peut créer diverses formes, une douzaine ou plus, tout en racontant une histoire, un peu comme le chapeau de Tabarin. Il fut décrit en 1725 par l’éducateur jésuite Jacques Ozanam dans un ouvrage « Récréations mathématiques et physiques », et de nombreux magiciens l’utilisèrent en spectacle. Le magicien canadien Sid Lorraine popularisa ce numéro et créa de nouvelles routines qu’il présenta lors de conventions. Frank Herman publia en 1982 « That’s the troublewit » avec de nombreuses routines et idées sur le sujet. Jules Dhotel et André Mayette publièrent également un livre « Le papier multiforme ou éventail à transformations » en 1960. 
Une routine présentée par Jay Marshall :  

Parmi les magiciens qui popularisèrent l’origami par le passé je retiendrai principalement deux noms.
  • Le premier est Robert Harbin (de son vrai nom Ned Williams, 1908-1978). Ce célèbre magicien créateur entre autre de la Femme Zig-Zag découvrit l’art japonais du pliage de papier (origami) au début des années 50. Il entreprit alors de faire connaître cet art en publiant  de nombreux livres, le premier étant « Paper Magic » en 1956. Ce fut lui qui fonda en 1967 la première association d’origami européenne, la British Origami Society dont il fut le premier président. Il présenta aussi une série d’émissions sur l’origami à la télévision. Robert Harbin a créé lui-même de nombreux modèles.
  • Le deuxième est Adolpho Cerceda (connu aussi sous son nom d’artiste Carlos Corda, 1923-1979). Magicien professionnel originaire d’Argentine, il créa de nombreux modèles que l’on retrouve en particulier … dans les livres de Robert Harbin, et dans le livre « Fascinating Origami: 101 Models by Adolfo Cerceda » de 1997, écrit par Vicente Palacios, et consacré à ses modèles. Les « anciens » se souviennent peut-être que dans les années 70, Adolpho Cerceda animait à la télévision une émission consacrée à l’origami.
  1. Les pliages magiques
Il y a deux aspects dans cette rubrique : les pliages qui sont visuellement « magiques », car leur conception fait en sorte qu’il est difficilement concevable qu’ils soient réalisés à partir d’une seule feuille et sans découpe, et les pliages qui ont un effet magique.

    1. Les pliages visuellement « magiques »
Quand le Club d’origami que j’anime participe à une exposition, il y a toujours une vitrine où sont présentés de tels pliages.
Par exemple
  • « The Last Waltz » de Neil Elias (Photo 1), où un couple de valseurs, l’homme d’une couleur et la femme de l’autre, dansent. A noter que Neil Elias est le créateur du « Elias Shift » utilisé en cartomagie, et créateur d’un nombre impressionnant de modèles tous plus géniaux les uns que les autres.
  • « L’alliance dans sa boîte » de Ted Darwin (Photo 2), où l’on a l’impression que cette alliance a été rajoutée (mais non !). Ted Darwin crée des modèles qui titillent l’esprit, vraiment.
  • « L’étoile de David » de Fred Rohm (Photo 3), réalisée à partir d’un billet d’un dollar, est aussi un pliage qui semble impossible.
Il y a aussi nombre de figures impossibles réalisées en origami, par exemple Mick Guy et ses illusions d’optique, ou Thoki Yenn et son « Umulius Rectangulum » (Photo 4).

    1. Les pliages ayant un effet magique par eux-mêmes
                                                               i.      Flexagones

En géométrie, les flexagones sont des modèles plats, construits habituellement à partir d’une bande de papier pliée, qui peuvent être repliés de manière à révéler des faces cachées, à la manière d’un kaléidoscope.
Les flexagones ont été introduits au grand public par Martin Gardner en 1956.
Dès lors, des magiciens se sont intéressés à ce genre de pliages, comme Doug Henning qui en incluait un dans son Magic Show en 1974.
Il existe une grande variété de flexagones, dépendant de la forme générale du modèle.
Si les flexagones étaient au début principalement  plats, des versions en volume ont été créées depuis.
De même, si la construction de ces modèles nécessitait habituellement de coller les extrémités de la bande de papier, des versions « origami » ont été créées, soit avec une seule feuille soit avec plusieurs modules, et où tout s’emboîte sans l’aide de colle.
J’en citerai deux exemples :
La superbe « Magic star » de Yuri et Katrin Shumakov que l’on peut voir ici : https://www.youtube.com/watch?time_continue=27&v=cjfYLS1lc5U
et le « Fireworks » de Yami Yamauchi expliqué ici :
Parmi les livres dédiés aux flexagones je citerai
« The magic of flexagons » de David Mitchell, avec en particulier l’excellent « Hidden Aces Flexagon »
« Fantastic Flexagons: Hexaflexagons and Other Flexible Folds to Twist and Turn » de Nick Robinson
« Flexagons » de Paul Jackson
ces trois livres étant écrits par des origamistes réputés.

                                                             ii.      Lapin chapeau de Robert Neale

Ceci est l’exemple même (et peut-être le seul) d’un pliage vraiment magique.
Robert Neale est un célèbre magicien et plieur.
Il a créé de nombreux modèles à la fois simples et élégants, en particulier en utilisant des billets de banque.
Son modèle le plus célèbre est sans conteste son « Bunny Bill » (Lapin dans le chapeau) (Photo 5), clin d’œil aux magiciens. C’est un « action model », un pliage animé, où le lapin semble sortir magiquement du chapeau haut de forme. Un excellent pliage, décrit par le créateur dans le livre « Bunny Bill » en 1964, et redécrit dans le livre « Folding Money Fooling » en 1997.
Il est sorti récemment une « variation» de ce pliage, sous le nom « Butchered Bunny » disponible en vidéo.

                                                            iii.      Les pliages à histoires

Les plus célèbres sont « L’histoire du roi qui a perdu sa couronne », et « La chemise du capitaine ».
Il existe des versions plus « magiques » de ces histoires.
Ludovic Toulouse dans sa routine « Origamagique » reprend en gros l’histoire du roi qui a perdu sa couronne, mais à la fin le magicien retrouve une carte dans le fond de la boîte, correspondant à une carte choisie.
Jean Merlin, dans sa routine « Le petit marin », a complètement revisité l’histoire de la chemise du capitaine pour un faire un numéro avec de multiples surprises.
A noter aussi le livre « Paper Folding Stories for Magicians » de Devin Knight qui reprend ces histoires.

                                                           iv.      Autres pliages à effets magiques

Vous en trouverez par exemple quelques-uns dans le livre de Karl Fulves « Self-working paper magic ». Je pense en particulier à « The magic mailbox » de George Jarshaur, ou « The boys from the girls ». Karl Fulves a d’ailleurs développé les présentations de quelques tours à base de pliages (dont « The magic mailbox ») dans la revue The Pallbearers Revue Vol 10 n° 7.
Le livre « Paper folding giveaways » de Sid Lorraine & Devin Knight  contient des pliages faisant apparaître des images différentes au fur et à mesure que l’on plie et que l’on offre au public à la fin.
Le livret 09 édité par la British Origami Society « Ray Bolt - Magic with origami » contient aussi une sélection de pliages à effets magiques où l’on retrouve d’ailleurs des effets issus du livre de Karl Fulves mentionné plus haut.
Le livre « Pliages magiques » de Roger Koka (Editions George Proust) reprend nombre de pliages à effet plus ou moins magique ainsi que des effets à base de papier mais qui ne sont pas de l’origami.

  1. Les tours qui utilisent du pliage
Voici quelques tours commercialisés qui utilisent l’origami.

  • « Origami effect » d’Andrew Mayne 
https://www.youtube.com/watch?v=C_9btzMH81Y
 
  • « Origami Fly » de Artmik

  • « Orimagi » de Julien Gritte et Benoît Campana

  • « Origamagic » de Seo Magic

  • « Butterfly Effect » d’Andrew Mayne

  • Blake Vogt, dans “Daily Magic : Collection 1”, présente un effet de billet de banque emprunté qui se transforme en petite chemise

A noter aussi que d’autres magiciens utilisent un pliage dans un de leurs tours. Je pense en particulier à « Frog prince » de Michael Close (qui a aussi d’autres tours utilisant l’origami).
A noter également l’illusion « Origami » de Jim Steinmeyer qui, c’est vrai, n’est pas du pliage de papier mais en reprend le thème, et le tour du mouchoir en tissu qui se transforme magiquement en grue (https://www.youtube.com/watch?v=vQeT9lmXfFA)

  1. Des magiciens qui sont aussi des origamistes reconnus (j’en oublie sans doute !)
Adolfo Cerceda (1923-1979)
Fred Rohm
Jon Tremaine (1936-)
Neal Elias (1921-2005)
Robert Harbin (1908-1978)
Robert Neale (1929-)
Thoky Yenn (1919-2004)

  1. Conclusion
L’origami est un merveilleux hobby, qui permet de réaliser des choses passionnantes avec juste une feuille de papier et deux mains. Que ce soit des modèles simples ou très complexes, il y a toujours la magie de voir se former un animal, un objet, une fleur, peu importe car tout peut se plier, à partir d’un simple carré de papier, et juste en pliant, sans découper et sans coller.
En dehors de l’effet de mode qu’a l’origami en ce moment et qui donne lieu à nombre de récupérations, je pense qu’il est effectivement possible de combiner magie et origami.
Néanmoins j’invite tous les magiciens à découvrir l’origami pour ce qu’il est réellement de nos jours, loin de l’activité enfantine à laquelle encore trop de personnes le cantonnent, et découvrir un véritable art de création, aux multiples facettes, aux différentes écoles, qui évolue tout le temps et repousse les limites du possible.
Comme la magie, en fait …

 Photo 1-The Last Waltz de Neal Elias

 Photo 2-Wedding ring de Ted Darwin

  Photo 3-Etoile de David de Fred Rohm

Photo 4-Umulius Rectangulum de Thoki Yenn

 Photo 5-Bunny Bill de Robert Neale

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